Témoignage du grand voyer Lanouiller de Boisclerc, 1735
Au début du 18e siècle, le réseau routier n’occupe qu’une infime partie du vaste territoire de la Nouvelle-France. Il existe bien des rangs et des bouts de route dispersés ça et là, mais aucune voie ne relie encore la capitale, Québec, à Montréal. C’est en 1706 que le Conseil supérieur prend la décision de construire une route qui longe le fleuve, là où se trouvent les habitations. Grâce à ses «corvées du Roy», le grand voyer Eustache Lanouiller de Boisclerc peut entreprendre les travaux en 1731. Au terme du chantier, en 1737, le Chemin du Roy fait 7,4 mètres de largeur et s’étire sur 280 kilomètres, à travers 37 seigneuries.
Le chemin du Roy est alors la plus longue route aménagée au nord du Rio Grande.
Le chemin du Roy va servir au courrier et aux voyageurs qui utilisent pendant un siècle et demi des calèches, des diligences, des malle-postes et des carrioles d’hiver. Il y aura jusqu’à 29 relais. Parmi les plus fréquentés à cause de leur localisation : Berthier, où le repas de midi est toujours servi, Trois-Rivières, pour un arrêt nocturne, et Deschambault. Au galop des chevaux, on pouvait faire le voyage en deux jours! Aujourd'hui, la route 138 emprunte, dans sa plus grande part, l’ancien tracé, de Saint-Augustin-de-Desmaures à Repentigny, en passant par Trois-Rivières.
Le chemin du Roy, c’est le frère terrestre du fleuve Saint-Laurent. Avec lui, en le suivant tout du long, il est la grande voie de l’histoire du Québec, avec ses paysages et son patrimoine fascinant. Il est la voie toujours vivante de la Nouvelle-France au 21e siècle.
Crédit du texte : Christian Morissonneau, historien et professeur au Département des Sciences humaines, Université du Québec à Trois-Rivières.
On peut commencer avec la date de 1663 quand la Nouvelle-France devient une province royale, avec un gouverneur responsable devant le roi et ses ministres. Ajoutons à cette date, celle de l’envoi en 1665, d’une armée chargée de mater les Iroquois qui gênent de plus en plus le commerce et inquiètent les établissements. Des officiers et des soldats du régiment de Carignan-Salières restent au pays après une incursion plus ou moins réussie en Iroquoisie, dans l’État de New York actuel. L’intendant Talon, en 1672, concède de nombreuses seigneuries aux officiers qui acceptent l’installation canadienne. En 1681, la population approche les 10 000 habitants. Toute la rive nord du Saint-Laurent est concédée en seigneuries et dans leur plus grande partie, les terres riveraines y sont concédées en censives.
En même temps que l’occupation du sol s’accroît, la Nouvelle-France reçoit du bétail, entre autres, des chevaux utiles aux défrichements et évidemment aux transports. En 1665, on compte une vingtaine de chevaux, 156 en 1685 et ils se multiplient tellement que le gouverneur Vaudreuil se demande si les jeunes hommes ne vont pas perdre l’habitude de la marche. À la fin de la Nouvelle-France, il y a 14 000 chevaux. Depuis la fin du 18e siècle, outre l’agriculture, on les utilise notamment avec des véhicules de transport.
Au moins avec des boeufs et des chevaux, on peut penser au transport terrestre qui demeurait, encore au 17e siècle commençant, le parent pauvre du déplacement par rapport aux cours d’eau qui sont, surtout le Saint-Laurent, le grand chemin, le seul dans la colonie qui se construit. La grande route fluviale montre mieux ses limites pour le transport : les inondations, les tempêtes, la glace de l’hiver et les périodes de gel et dégel impraticables de l’automne et du printemps.
Une des premières routes est ouverte dans les années 1660, entre Cap-Rouge et le Cap Tourmente. Il est facile d’imaginer que les premières routes partent et mènent à Québec, la capitale administrative et religieuse de la Nouvelle-France. Sur ces premières routes circulent des charrettes tirées par des boeufs transportant des produits agricoles vers le marché de Québec. Le courrier officiel est transporté par bateaux sur le fleuve ou quand faire se peut, par des messagers à cheval sur ces routes à peine ouvertes.
Des bouts de route s’ouvrent aussi dans les seigneuries, que chacun doit entretenir devant sa terre. La plaine de Montréal, y compris l’île, développe des segments qui semblent plus des sentiers que des routes. Il s’agit davantage de chemins de grèves. Ils ne sont pas continus d’une ville à l’autre. Ces chemins de grèves sont tracés par l’usage, dans l’intervalle de deux perches (12 mètres) au-delà de la ligne des plus hautes eaux et de la terre concédée.
On s’attaque à la rive sud, et entre 1709 et 1713, on arrive à la seigneurie de Rivière-du-Loup en partant de Lévis. La route d’environ 150 km rejoint le sentier d’un portage vers l’Acadie entre le Saint-Laurent et la rivière Saint-Jean par le lac Témiscouata. En 1665, le gouverneur Courcelle fait ouvrir un chemin de Longueuil à Chambly pour raccourcir le déplacement des troupes françaises partant de Montréal vers l’Iroquoisie. C’est donc une route militaire. Il faut attendre 1748 pour faire se joindre La Prairie à Saint-Jean. Le lien Québec-Montréal par la rive sud ne sera complété qu’après la Conquête, en accordant des sections de seigneuries.
Il existe un responsable de la voirie. Il est nommé par l’intendant : le grand voyer et quelques employés. Celui-ci doit veiller sur les besoins routiers des habitants. C’est lui qui choisit les tracés, supervise la construction et l’entretien des routes. Comme personne n’est attaché aux travaux, le grand voyer les fait faire par les habitants des lieux concernés.
C’est le système de la corvée où, chaque censitaire ayant une terre le long du chemin est responsable de son segment de chemin; comme sa propriété est peu large de front, le travail est à la mesure… Dans la construction même, qui oblige à des travaux longs de défrichement, d’empierrement, de pontage, on engage parfois des journaliers payés.
En Nouvelle-France, on distingue trois catégories de routes. En premier, les chemins royaux et de poste faits et entretenus par tous les habitants de la seigneurie qu’ils traversent. La plupart du temps, l’équipe de travail est sous la direction du capitaine de milice, nommé par le gouverneur général; il représente la haute administration militaire et civile. Le seigneur est tenu lui aussi de participer aux travaux de voirie. Il peut se faire remplacer en payant quelqu’un. Ces chemins dits royaux, doivent avoir 24 pieds de large (1 pied français= 32,40 cm) avec des fossés de 3 pieds de chaque côté.
Les deux autres catégories ne sont pas du ressort de la haute administration. Les chemins de communication, en général des chemins de montée qui relient les rangs entre eux et avec le chemin principal (royal) vu comme public, alors que ceux-ci sont vus comme communautaires. Ils sont sous la responsabilité entière des habitants qui l’utilisent. On demande qu’ils fassent 18 pieds de large, mais beaucoup n’atteignent pas cette dimension. Les chemins de moulin, sans spécification de dimension, sont construits par les censitaires sous l’ordre du seigneur pour qu’ils accèdent au moulin banal et y fassent moudre leur grain. C’est une des obligations du système seigneurial attachées à chaque terre concédée.
Ainsi, tout le système routier est à la charge des habitants, depuis la construction jusqu’à ce qui est le plus obligeant, l’entretien pour l’usage convenable. Un chemin de terre est facilement endommagé par les averses et les inondations. L’hiver, on s’attend à ce que les bancs de neige soient ouverts et la neige au moins « tapée » et surtout que le tracé du chemin lui-même soit signalisé avec des arbustes (souvent des épinettes) plantés dans la neige. Ces épinettes servent de balises alors que le chemin et les champs se confondent pendant les tempêtes aux risques pour le voyageur de s’égarer. On attache beaucoup d’importance à ces balises d’hiver. Toute personne qui les déplace peut être punie sévèrement, vu les conséquences. L’entretien estival pose moins de problèmes. Si peu de problèmes que si le grand voyer espace trop longtemps ses inspections, de nombreux chemins deviennent boueux, à peine praticables.
Les procès-verbaux du grand voyer, pendant et après la construction, décrivent le piètre état des chemins du roi mal entretenus. Que l’on pense à tous ces chemins des bords de l’eau, souvent inondés, presque toujours boueux!
L’office de grand voyer est octroyé pour la première fois en 1657 par la compagnie des Cent Associés, à René Robineau de Bécancour. D’après P.-G. Roy, le poste « était alors plutôt une sinécure » pour les raisons plus haut évoquées. Mais le besoin des routes ne paraissant pas si nécessaire, on ne mentionne pas ses devoirs. Le sieur Robineau de Bécancour, baron de Portneuf, est ainsi nommé et profitant de la vacance de ses charges se contente de recevoir son salaire en oubliant les routes. Quatre ans après l’établissement du gouvernement royal pour la Nouvelle France (1663), la nouvelle compagnie des Indes Occidentales lui donne « de nouveau le dict office de Grand-Voyer ».
Le 1er février 1706, le Conseil supérieur de la Nouvelle-France, en même temps qu’il décide la construction des grands chemins dont celui de Québec à Montréal, définit les tâches du grand voyer. On peut lire dans le règlement adopté :
« Ordonne au sieur de Bécancour, grand voyer, de se transporter dans toutes les seigneuries où les grands chemins n’ont pas été réglés pour les régler de concert avec les propriétaires des seigneuries, les officiers de milice en leur absence s’il n’y a pas de juge et six des plus anciens et considérables habitants du lieu pour suivant leurs avis régler où passeront dorénavant les chemins publics qui auront au moins vingt-quatre pieds de largeur… ». (Jugements du Conseil Souverain, vol.V, p.238)
Le premier grand voyer, décédé en 1699, est remplacé pas son fils Pierre Robineau de Bécancour, deuxième baron de Portneuf. C’est lui qui va esquisser plus que vraiment faire le tracé du chemin royal entre Québec et Montréal. Il meurt en 1729 dans son manoir de Bécancour.
Jean-Eustache Lanouiller de Boiscler lui succède. Il est, depuis 1719, contrôleur de la marine et des fortifications de la Nouvelle-France; il s’établit au pays en 1720. Il sera révoqué de cet emploi en mai 1729 sans doute à cause d’un différend avec le commissaire De Silly (P.-G.Roy, p.203). Il s’embarque désemparé « sur un des vaisseaux marchands qui passent en France cette année ». Il se sert de ses influences auprès du ministre et le 10 avril 1731, il est nommé grand voyer. Dès l’été 1732, il est sur le terrain. L’intendant Hocquart parle de sa détermination à faire progresser un chemin qui prend du temps à aboutir…
« Il a reconnu dans la route de Québec à Montréal l’attention du sieur Boiscler, grand voyer. Cet officier a mis en règle tous les habitants pour la réparation et l’entretien des grands chemins, au point qu’ils ne se croyaient presque plus tenus des réparations. Il a encore tracé et fait établir le long du lac Saint-Pierre un chemin qui était projeté depuis plus de trente ans, et qui sera dans sa perfection l’été prochain;…ce nouveau chemin qui est sur une hauteur dans les terres et couvert des inondations, a déjà engagé plusieurs habitants à prendre des concessions de ce côté-là;… » (Cité; dans P.-G.Roy, p.204)
Le chemin du Roy peut encore être emprunté, selon ce tracé entre Yamachiche et Louiseville, par le chemin des Petite Terres, et entre Louiseville et Maskinongé par le rang Petit-Bois. On connaît la suite. Lanouiller de Boiscler mène à bien la construction de la route assez rapidement pour se faire conduire, en 1735, en chaise de poste : « J’ai descendu au mois d’août dernier en chaise, en quatre jours et demi de Montréal à Québec »;. Le grand voyer Lanouiller de Boiscler, le constructeur du chemin du Roy décède le 25 novembre 1750.
On peut maintenant poser la question : qui participe à la construction des chemins ? On commence par l’intendant qui est le chef administratif, qui confie la voirie au grand voyer. Celui-ci est d’abord le faiseur de tracé et le contrôleur de la construction et de l’entretien. Ainsi, les responsables directs sont plutôt les capitaines de milice des paroisses ou des seigneuries. À la base, les habitants sont tenus de fournir leur part de terrain et les travaux de construction. Cette contrainte, c’est la corvée. Il n’y a pas d’employés de la voirie. Il s’agit d’un travail communautaire obligatoire. L’intendant intervient souvent directement sous forme d’ordonnances dans les nombreux cas difficiles.
Il n’y a pas que le ruban de terre battue à construire, les ponts aussi sont à faire. Il faut que « les ponts qui sont sur les Rivières ou sur Ruisseau naturel […..] soient faits par tous les habitants ». (Cité par Roland Sanfaçon, p.16)
Et les traversiers, bacs ou canots? Même chose que pour le chemin lui-même. En 1732, Lanouiller précise que « Canot et Cordes seront faits et fournis par le Public » R. Sanfaçon, p.18). La corvée générale est évidemment de mise sur les terres non concédées. Une question peut se poser : quelles sont les limites géographiques où s’applique la corvée générale? À l’intérieur en premier, de l’aire seigneuriale. Trop grande ou trop petite, les limites sont paroissiales. Le travail est partagé entre « tous les habitans de la ditte seigneurie au prorata des terres qu’ils y possèdent » (R. Sanfaçon, p18.). Le capitaine de milice fixe la part du travail de chacun, y compris le seigneur. Un principe est appliqué le plus fréquemment : les concessionnaires sont les premiers visés, la corvée générale n’étant réservée qu’en leur absence : terres vacantes, traversiers sur les rivières. Partout, prime le principe de concession.
Si nous évaluons la tâche des deux grands voyers responsables du chemin du Roy, l’écart entre Bécancour et Boiscler est énorme. Avant 1730, les interventions sont rares : 10 en 1710 et pas plus de 4 par an jusqu’en 1729. Les intendants Bégin et Dupuy ne bougent pas plus que lui pendant ces mêmes années. Bécancour intervient peu et laisse les habitants concernés contester le tracé ou le rendre impraticable. Boiscler décrit bien le comportement de la propriété privée vis-à-vis du bien public, ce qui, encore aujourd’hui, menace en permanence notre segment de chemin public.
En 1731, il observe dans un de ses procès-verbaux, que « …presque tous les habitans ne laissaient à peine que le passage d’une charette entre les grains labourant et ensemençant le dit chemin ce qui forme des ornières et des bourbiers et cause entre eux des difficultés parce qu’on est dobligation de passer dans les grains le dit chemin estant par endroits impraticables ».
Il est vrai que la Nouvelle-France ne connaît pas l’expropriation. Le principe de concession est quasi intouchable. Demeure inscrit tout de même dans les contrats de concession, la cession pour un chemin. Malgré la négligence de certains capitaines de milice et la mauvaise volonté de nombreux habitants, le système des corvées impose des réalisations concrètes avec l’arrivée de l’intendant Hocquart en 1729 et du grand voyer Boiscler en 1731. Dès 1730, pleuvent 7 ordonnances de l’intendant, et l’année de son entrée en fonction Boiscler rédige 34 procès-verbaux, devant témoins chargés de les appliquer. Même nombre que Bécancour en 20 ans!
En 1735, toutes les seigneuries ont leur tracé de chemin. Les deux années suivantes, l’objectif est mis sur les bacs et les ponts. Nous partageons l’avis de Roland Sanfaçon : « Si nous considérons l’état lamentable des chemins et des ponts à l’arrivée de Boiscler en 1731, il n’est sans doute pas faux de dire que le système des corvée a permis la construction du premier chemin royal de Québec à Montréal en 7 ans environ » (p.27). La Nouvelle-France a une nouvelle voie qui se développe. Elle est praticable malgré ses difficultés et le peu de confort des véhicules mais elle est adaptée aux besoins de l’époque. On va en 4 ou 6 jours de Québec à Montréal. (Franquet).
Rappelons que cette réussite fait du chemin du Roy, dans les années 1730, la plus longue route aménagée au nord du Rio Grande. Les États-Unis attendront quasi un siècle pour se donner l’équivalent avec la « route nationale » de Cumberland (Maryland) à Wheeling (Ohio) dont le gouvernement fédéral projette le tracé seulement en 1806, exactement cent ans après le projet équivalent du chemin du Roy.
Rappelons aussi qu’en 1706, seulement 14 seigneuries sur les 37 entre Québec et Montréal ont des tronçons de chemins qui peuvent être améliorés pour la construction du grand chemin royal. Aucun chemin n’allait d’une seigneurie à l’autre; ils s’ouvraient au centre pour atteindre l’église et le moulin banal.
Crédit du texte : Christian Morissonneau, historien et professeur au Département des Sciences humaines, Université du Québec à Trois-Rivières.
Quand Boiscler écrit qu’il a emprunté le chemin en chaise, il parle de la chaise de poste qui s’appellera calèche au pays. C’est un « véhicule léger, conduit par un cheval, qui peut parcourir des distances importantes; il est résistant et circule sur à peu près n’importe quelle route… Sa banquette surélevée installée sur des ressorts accueille deux passagers tandis que le conducteur se place à l’arrière du cheval qu’il peut diriger aisément » (P. Lambert, p.11). Ce véhicule à deux roues, non couvert, sert au transport public. Boiscler l’utilise et l’intendant Hocquart aussi. L’hiver, il est remplacé par la carriole, l’équivalent de la calèche montée sur des patins pour glisser sur la neige et la glace.
Avec l’ouverture du chemin du Roy, on peut mettre en marche, si l’on peut dire, un transport public terrestre structuré par postes de relais. S’installe, à peu près au quinze kilomètres, là où il y a au moins un embryon de village, un relais tenu par un maître de poste. C’est lui qui assure le transport jusqu’au prochain poste (P. Lambert, p.12). Ce n’est pas le service postal proprement dit. À la saison hivernale, avec le fleuve gelé, des relais sont sur la glace. À la fin du régime français, dans les années 1750, les voyages en calèche (chaise de poste) sont utilisés par la plupart des voyageurs. Les années qui suivent la Conquête sont désorganisées au point de vue transport public. Mais dès 1767, les relais de poste sont soumis aux mêmes lois que ceux de l’Angleterre. Les maîtres de poste ont le monopole des chevaux et des véhicules pour les voyageurs. (La Gazette de Québec, 16 février 1767, cité par Lambert). On parle des courriers qui transportent « la Malle des lettres».
Une ordonnance du gouverneur Haldimand, en 1780, réglemente plus sérieusement les relais eux-mêmes et le transport du courrier et du public. On divise le chemin entre Québec et Montréal (60 lieues) en 24 puis en 29 relais où les maîtres de poste assurent aux voyageurs, à un quart d’heure d’avis, des calèches ou des carrioles. Encore à cette date, seule la route de Québec à Montréal, en y ajoutant celle de Montréal à Saint-Jean, est un véritable chemin de poste.
Suivra la route de Lévis à Rivière-du-Loup, en 1786, comme première étape vers Halifax, vers le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-écosse en rejoignant le chemin du Grand Portage et le lac Témiscouata. Le grand voyageur britannique Isaac Weld, à la fin des années 1790, vante le chemin du Roy:
« On ne trouve point dans tout l’Amérique septentrionale de route aussi commode et aussi bien servie que celle qui conduit de Québec à Montréal. Des postes sont établis à des distances réglées. Là, des chevaux, des calèches ou des carrioles, suivant la saison, paraissent attendre le voyageur. Chaque maître de poste est tenu d’avoir chez lui quatre calèches relais, ce que l’on appelle dans le pays un aide-de-poste, qui est tenu d’avoir un nombre égal de ces voitures, et de les fournir au maître de poste, lorsque celui-ci les requiert. Au privilège exclusif de fournir des chevaux et des voitures, il n’y a d’attaché que l’obligation de servir les voyageurs dans un quart d’heure, si c’est pendant le jour, et une demi-heure si c’est la nuit. Les postillons sont obligés de courir à raison de deux lieues par heure. Le prix d’une calèche attelée d’un seul cheval est d’un shilling […] Quoique les calèches de poste soient lourdes et grossièrement construites, elles ne cahotent pas le voyageur et elles sont en tout point préférables aux diligences américaines dans lesquelles, si l’on n’a pas eu la précaution de se pouvoir de coussins, on est sûr d’avoir les côtes et les bras meurtris avant d’arriver au terme de son voyage ». (Isaac Weld, p.246-247)
Dans les premières années du 19e siècle, montent des critiques, à commencer par celles du Britannique John Lambert, envers les calèches inconfortables (cité par P. Lambert, p14). Les relais laissent à désirer pour les attentes des véhicules; les services d’hébergement et de restauration sont aléatoires.
En 1811, on abandonne les calèches pour les services de diligences. Mais déjà circulent, depuis plusieurs années, les diligences postales.
Le service organisé du courrier est un besoin dans un pays de distance et de dispersion. Le courrier doit se rendre de Québec à Montréal et à la Nouvelle-Angleterre. Dans les années 1760, il y a un courrier express qui fait les 60 lieues en 30 heures, mais les besoins sont plus grands qu’un seul express (E. C. Guillet, p.21). En 1774, on augmente à deux courriers par semaine, partant de Québec les lundis et jeudis et atteignant Montréal les mercredis et samedis. Québec reçoit l’équivalent les mêmes jours (P. Lambert, p.14).
La liaison régulière vers la Nouvelle-Angleterre cesse pendant la guerre d’Indépendance des États-Unis, de 1775 à 1783. La nécessité créée l’entente : en mars 1792, est signée la convention postale pour la malle Canada/États-Unis et Angleterre. Il va falloir délaisser les messagers à cheval et transporter les sacs postaux en voiture, dans des malles-poste où les voyageurs peuvent monter. Ce sont les diligences postales, les premières diligences québécoises. En 1799, une malle-poste circule entre Québec et Montréal, une fois par semaine.
En novembre 1793, on mesure la distance des postes entre Montréal et Trois-Rivières, « par ordre de l’honorable Hugh Finlay, directeur général des postes des provinces de Québec, Nouvelle-écosse, Nouveau-Brunswick, etc » On nomme 12 maîtres de poste. Mais revenons d’abord à l’organisation du service postal. Il concerne notre chemin du Roy qui va changer de tracé, au début d’une façon saisonnière, puis, définitivement.
Quand, en 1792, circulent les premières voitures de transport public autres que les calèches, les anglophones les appellent stages. Le mot diligence n’est attesté que plus tard, en 1808, dans un contrat entre des marchands et un aubergiste où le conducteur doit « se munir de bonnes voitures et bons chevaux pour faire concourrire la diligence et la sûreté des voyageurs » (cité par P. Lambert, p.19).
En 1814, on peut lire « voitures diligentes vulgairement nommé [sic] ligne de stage » (cité par P. Lambert, p.19). On emploie pendant tout le 19e siècle autant le mot stage que le mot diligence, c’est-à-dire des voitures à relais. Le mot malle-poste (mail coach), c’est-à-dire une diligence postale, est plus rare. Alors que pourtant, les diligences transportent le courrier et les voyageurs sont donc des malles-poste où simplement dit des malles.
Quant aux diligences d’hiver, ce sont en général des carrioles. Pour clarifier le vocabulaire, la plupart des voitures d’hiver ou d’été sont nommées diligences ou stages. Dans l’esprit des utilisateurs, au 19e siècle, une diligence est une « voiture à étapes », qu’importe sa forme. Si l’on choisit la fonction plutôt que la forme on peut faire entrer dans la catégorie diligence « une voiture hippomobile à quatre roues (ou à patins durant l’hiver) utilisée pour le transport public selon des étapes et un horaire pré-établi » (cité par P. Lambert, p.19).
La plupart du temps, la voiture de la poste transporte des voyageurs. Dans les années 1810, leur nombre augmentant, les compagnies de transport offrent des diligences. Dès 1815, à la saison estivale, les voyageurs préfèrent le bateau à vapeur. Les malles-poste poursuivent leur fonction toute l’année et le service de diligences sert surtout l’hiver. Le courrier, sur le chemin du Roy, est transporté en tous temps en malle-poste. Les vapeurs « embarquent » le courrier dans les années 1840. Mais comme il existe évidemment des agglomérations qui doivent être desservies postalement entre les relais, la malle-poste circule tous les jours; des voyageurs s’ajoutent au courrier. Il ne faut pas oublier que l’été, alors que les vapeurs prennent la relève du transport public, ceux-ci négligent la plupart des villages riverains pour ne jeter l’ancre qu’à Sorel, Port-Saint-François et Trois-Rivières (P. Lambert, p.35).
L’hiver, le voyageur a le choix entre la malle-poste et la diligence régulière. L’argument de la vitesse fait pencher la balance du choix vers la malle-poste qui ne passe pas la nuit à Trois-Rivières mais qui s’arrête pourtant à la quasi-trentaine de postes du trajet Québec-Montréal. On peut parcourir cette distance en 34 ou 36 heures sans le repos du lit. De plus, les tarifs sont plus bas. Mais, malgré l’arrêt nocturne de Trois-Rivières, le trajet Québec-Montréal peut se faire en deux jours. Une affiche publicitaire datée de 1851 annonce que les propriétaires offrent « un trajet en deux jours » et qu’ils ont établi une ligne de diligence qui laissera Montréal et Québec tous les jours (excepté les dimanches). Elle part à cinq heures du matin et s’arrête à Trois-Rivières. Il est intéressant d’apprendre qu’il y a des extras à toute heure.
Il faut rappeler qu’à l’âge d’or des diligences (environ 1810-1850), des changements se font jusqu’au nombre des arrêts. Ainsi, à l’époque des calèches, comme nous l’avons vu, le nombre de relais atteint une trentaine, c’est-à-dire à chaque village. Avec les diligences, le nombre est réduit à dix postes, entre Québec et Montréal : L’Ancienne-Lorette, Cap-Santé, Deschambault, Sainte-Anne, Trois-Rivières, Yamachiche, Maskinongé, Berthier, Lavaltrie, Bout-de-l’Ile. Les propriétaires se font une concurrence féroce. On en vient à distinguer la ligne rouge de Samuel Hough et la ligne verte de Michel Gauvin, parce que les propriétaires peignent leurs véhicules de ces couleurs. Les deux compagnies l’une davantage aux services des « Canadiens », l’autre des « Anglais », devant l’inanité de leur concurrence, s’associent en 1844. Il n’y a alors qu’une seule ligne de diligence d’hiver sur le chemin du Roy.
Signalons l’importance de Berthier à l’époque des deux lignes concurrentes comme à celle de la ligne unique. Berthier étant situé à mi-chemin de Montréal et Trois-Rivières, le repas de midi y est toujours servi. L’arpenteur général Joseph Bouchette rapporte plus de 20 auberges à Berthier dans les années 1820.
Après les années 1850, alors que le transport en bateaux à vapeur monopolise presque le transport estival, s’ajoute le rail comme autre concurrent au transport routier. En 1854, c’est l’ouverture de la voie ferrée entre Lévis et Richmond avec raccordement au Grand Tronc vers Montréal. La ligne de diligence disparaît. Seule la malle-poste transporte courrier et voyageur en toutes saisons. Le coup de grâce est donné, en 1879, avec la voie ferrée de la rive nord du fleuve, le Québec Montréal Ontario Outaouais. Il n’y a plus de malle poste entre Québec et Montréal. Ainsi, le chemin du Roy, que ce soit le long du chenal du Nord ou dans le rang York ne connaîtra plus le transport public en voiture à cheval.
Il est à peu près certain que la malle-poste a dû emprunter, la plupart du temps, sauf dans les inondations du printemps, la portion originelle entre Berthier et Maskinongé, parce que plus courte en traversant la rivière Chicot donc en suivant le rang qui porte le même nom de rang du Nord d’un village à l’autre.