La route reliant le passé au présent

Le Chemin du Roy

« J’ai descendu au mois d’août dernier en chaise, en quatre jours et demi de Montréal à Québec. »
– Grand voyer Lanouiller de Boisclerc, 1735

Au début du 18e siècle, les routes sont peu nombreuses et mal développées en Nouvelle-France. Il y a bien sûr quelques chemins, mais aucun ne relie encore Québec à Montréal. C’est en 1706 que les autorités décident de construire une route suivant le fleuve, là où se trouvent les premières habitations.

Crédit du texte : Christian Morissonneau, historien et professeur au Département des Sciences humaines, Université du Québec à Trois-Rivières.

La naissance d’une route historique

Au début du 18e siècle, la Nouvelle-France ne dispose que d’un petit réseau routier. Bien que quelques routes et rangs dispersés existent, aucune voie ne relie Québec à Montréal. C’est en 1706 que le Conseil supérieur prend la décision de construire une route longeant le fleuve Saint-Laurent.

Grâce aux « corvées du Roy », le grand voyer Eustache Lanouiller de Boisclerc entreprend des travaux colossaux de 1731 à 1737 :

  • 280 kilomètres de longueur
  • 7,4 mètres de largeur
  • 37 seigneuries traversées

La plus longue route aménagée au nord du fleuve Rio Grande

Pendant plus de 150 ans, le Chemin du Roy est utilisé pour livrer le courrier en malle-poste ainsi que par les personnes voyageant en calèche, en diligence (voiture hippomobile pour le transport en commun) et en carriole. Jusqu’à 29 relais sont installés pour les arrêts, comme à Berthier, où l’on sert le repas du midi, à Trois-Rivières pour la nuit, et à Deschambault pour un autre arrêt repas. Avec des chevaux, il est alors possible de faire le trajet en seulement deux jours.

Aujourd’hui, une grande partie de la route 138 suit le tracé historique du Chemin du Roy, de Québec jusqu’à Repentigny, en passant par Trois-Rivières.

1663
La fondation d’une province royale

En 1663, la Nouvelle-France devient une province royale, avec un gouverneur responsable devant le roi. Cette même année, l’envoi de l’armée de Carignan-Salières marque un tournant pour protéger le commerce et les établissements de la menace iroquoise.

Après une incursion plus ou moins réussie dans l’actuel État de New York, plusieurs officiers et soldats décident de rester en Nouvelle-France, favorisant l’implantation de nouvelles colonies. Dès 1672, l’intendant Talon concède des terres à ces soldats, si bien qu’en 1681, la population atteint presque 10 000 personnes.

Au fil du temps, la colonie reçoit du bétail – en particulier des chevaux, qui jouent un rôle crucial dans le défrichement. Au-delà de l’agriculture, les chevaux servent aussi au transport terrestre, qui reste longtemps moins développé que le transport fluvial, impraticable en hiver.

Années 1660
Les premières routes de la Nouvelle-France

Les premières routes de la Nouvelle-France apparaissent dans les années 1660, entre Cap-Rouge et Cap-Tourmente. Souvent rudimentaires, ces routes relient principalement les villages à la ville de Québec, capitale administrative et religieuse de la colonie. Les seigneuries doivent alors entretenir des chemins qui sont parfois plus des sentiers que de véritables routes. Appelés chemins de grèves, ils suivent les rives, sont tracés par l’usage et ne sont pas continus d’une ville à l’autre.

Entre 1709 et 1713, un chemin est ouvert entre Lévis et la seigneurie de Rivière-du-Loup, reliant Québec à des territoires plus éloignés. La route d’environ 150 km rejoint le sentier d’un portage vers l’Acadie entre le Saint-Laurent et la rivière Saint-Jean par le lac Témiscouata.

En 1665, le gouverneur Courcelle fait ouvrir une route entre Longueuil et Chambly, destinée à faciliter les déplacements militaires des troupes françaises de Montréal vers l’Iroquoisie. Mais ce n’est qu’en 1748 que le lien entre La Prairie et Saint-Jean est complété. La route Québec-Montréal par la rive sud ne sera véritablement achevée qu’après la Conquête.

Le rôle du grand voyer
dans le Chemin du Roy

Nommé par l’intendant, le grand voyer est le responsable de la voirie en Nouvelle-France. Ce titre est octroyé pour la première fois en 1657, par la compagnie des Cent Associés, à René Robineau de Bécancour. Le baron de Portneuf profite de son titre sans réellement s’occuper des routes. Ce n’est que le 1er février 1706 que le Conseil supérieur de la Nouvelle-France définit officiellement ses responsabilités, en même temps que la construction des grands chemins, dont celui de Québec à Montréal.

Le grand voyer doit alors superviser la construction et l’entretien des routes, mais ne dispose d’aucune équipe dédiée : ce sont les habitants qui effectuent les travaux. On applique le système de la corvée où chaque censitaire ayant une terre le long du chemin est responsable de son segment. Malgré ces efforts, les routes sont souvent boueuses et impraticables après les intempéries.

Après le décès de René Robineau de Bécancour, en 1699, son fils, Pierre Robineau de Bécancour, hérite du poste et amorce l’esquisse du chemin royal entre Québec et Montréal, sans toutefois le mener à terme. Il meurt à son tour en 1729.

Lanouiller de Boiscler : le bâtisseur du Chemin du Roy

Nommé grand voyer en 1731, Jean-Eustache Lanouiller de Boiscler se distingue par son efficacité. Dès 1732, il mobilise les habitants pour l’entretien des routes et concrétise un projet attendu depuis 30 ans : un chemin le long du lac Saint-Pierre, à l’abri des inondations.

En 1735, la route est suffisamment avancée pour qu’il puisse voyager en chaise de poste de Montréal à Québec en seulement quatre jours et demi. Son héritage perdure : des segments du tracé initial existent toujours entre Yamachiche et Maskinongé.

Une corvée générale
Qui participe à la 
construction des chemins?

La construction des chemins en Nouvelle-France repose sur un système de corvée, un travail communautaire obligatoire. L’intendant confie la voirie au grand voyer, qui trace et contrôle les routes, tandis que les capitaines de milice supervisent les travaux dans chaque seigneurie.

Les habitants doivent fournir leur part de terrain et participer activement à la construction des routes et des ponts. Le travail est réparti au prorata des terres possédées et même les seigneurs y contribuent. La corvée générale vise à entretenir les chemins, assurer les traversées et relier les communautés.

Un virage décisif
De la concession à l’expropriation

Avant 1729, la construction des chemins avance au ralenti. Les interventions du grand voyer Bécancour sont rares, les habitants contestent souvent le tracé en cultivant directement sur les voies, laissant à peine la place pour une charrette sur le chemin. Malgré les résistances et la négligence, la construction du Chemin du Roy s’accélère avec l’arrivée de l’intendant Gilles Hocquart.

Dès sa nomination, en 1731, Jean-Eustache Lanouiller de Boiscler impose un changement radical en appliquant les règlements avec fermeté. À l’époque, l’expropriation n’existe pas, mais les contrats de concession incluent une obligation de céder un espace pour les routes, d’où l’explosion des ordonnances et des interventions par les autorités.

4 à 6 jours de Québec à Montréal

Avant le Chemin du Roy, seules 14 des 37 seigneuries entre Québec et Montréal avaient des tronçons praticables et aucun chemin ne reliait les domaines entre eux. En 1735, toutes les seigneuries ont enfin leur tronçon de chemin. Les deux années suivantes sont consacrées à la construction des ponts et des bacs, indispensables pour assurer la continuité de la route.

L’historien Roland Sanfaçon souligne l’ampleur du travail accompli : en sept ans seulement, le système des corvées a permis de construire le premier chemin royal entre Québec et Montréal. Un défi relevé malgré des conditions difficiles et des infrastructures rudimentaires.

Dans les années 1730, le Chemin du Roy devient la plus longue route aménagée au nord du fleuve Rio Grande. À titre de comparaison, les États-Unis n’auront un équivalent qu’en 1806, avec la National Road reliant le Maryland à l’Ohio.

Les débuts du transport public

La chaise de poste

La chaise de poste, appelée plus tard calèche, est un véhicule léger tiré par un cheval, parfait pour parcourir de longues distances sur des routes irrégulières. Ce véhicule à deux roues, non couvert, sert au transport public. Son équivalent hivernal, la carriole, permet de voyager sur la neige et la glace à l’aide de patins.

Le relais de poste

Dès l’ouverture du Chemin du Roy, un réseau de relais de poste se met en place environ tous les 15 km, là où il y a un embryon de village, pour assurer le transport des personnes. Chaque relais, tenu par un maître de poste, offre une continuité essentielle au transport terrestre tout au long du chemin. Dès 1767, les relais de poste sont soumis aux mêmes lois que ceux de l’Angleterre : les maîtres de poste ont le monopole des chevaux et des véhicules.

De la calèche à la diligence

En 1780, une ordonnance encadre officiellement les 24, puis les 29 relais et le transport public. Chaque maître de poste doit fournir des calèches en 15 minutes. À cette date, les routes de Québec à Montréal et de Montréal à Saint-Jean sont les seules véritables chemins de poste. En 1811, on abandonne les calèches pour le transport public en diligences.

Dès les années 1760, un courrier express relie Québec et Montréal en 30 heures, mais la demande croît rapidement. En 1792, une convention postale mène à la création des premières diligences postales québécoises, transportant courrier, passagères et passagers. En 1799, une malle-poste circule entre Québec et Montréal, une fois par semaine.

Les premières diligences

En 1792, les premières voitures publiques, appelées stages par les anglophones, circulent. Le terme diligence apparaît en 1808. Tout au long du 19e siècle, on utilise indifféremment stage et diligence pour ces véhicules à relais. Le mot malle-poste (mail coach), c’est-à-dire une diligence postale, est plus rare.

Diligence, malle-poste ou bateau à vapeur?

Dans les années 1810, les diligences transportent de plus en plus de personnes, tandis que les bateaux à vapeur deviennent populaires vers 1815. Ce n’est toutefois que dans les années 1840 que les bateaux à vapeur commencent à embarquer le courrier. Les gens ont donc le choix entre le service postal terrestre ou par bateau.

Le service postal avec la malle-poste est assuré toute l’année, alors que les bateaux à vapeur négligent la plupart des villages riverains, en été, pour ne jeter l’ancre qu’à Sorel, Port-Saint-François et Trois-Rivières. L’hiver, les gens choisissent entre la malle-poste, plus rapide, et la diligence régulière. Le trajet Québec-Montréal prend de 34 à 36 heures.

Entre 1810 et 1850, les arrêts en diligence sont réduits à dix postes – comparativement à une trentaine en calèche –, avec une concurrence acharnée entre la ligne rouge de Samuel Hough et la verte de Michel Gauvin. Cette distinction est due à la couleur du véhicule de chaque propriétaire. Les deux compagnies, l’une davantage aux services des Canadiens, l’autre des Anglais, s’associent en 1844. Il n’y a plus qu’une seule ligne de diligence d’hiver sur le Chemin du Roy.

Berthier, situé à mi-chemin entre Montréal et Trois-Rivières, est un point clé pour les personnes qui voyagent. Avec plus de 20 auberges recensées dans les années 1820, on y sert des repas du midi, ce qui en fait un arrêt incontournable.

Un nouveau concurrent

À partir des années 1850, le rail devient un concurrent majeur du transport routier. En 1854, l’ouverture de la ligne ferroviaire entre Lévis et Richmond, connectée au Grand Tronc vers Montréal, entraîne la disparition des diligences. Seule la malle-poste transporte courrier, voyageuses et voyageurs à l’année.

En 1879, le chemin de fer sur la rive nord du fleuve met fin au service de la malle-poste entre Québec et Montréal, supprimant ainsi le transport public en voiture à cheval.